gravure de Dado

gravure de Dado

Dado par Pierre Bettencourt
Dado ou le cardinal de Retz

Le cardinal de Retz

Les tableaux présentés ici appartiennent à la série dite des « Mémoires du cardinal de Retz ». Ils ont été peints à l’huile en 1992 sur des panneaux de bois de mêmes dimensions (251 × 122 cm) à l’exception du tableau ci-dessus (La Fronde, huile sur toile, 225 × 400 cm). Ils sont ici accompagnés d’un texte de Pierre Bettencourt, Dado ou le cardinal de Retz, initialement paru dans L’Œuf sauvage no 6, hiver 1992-1993.

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Le cardinal de Retz Le cardinal de Retz
Dado, venu en France de ses sauvages montagnes natales, garde quelque chose du bandit de grands chemins. C’est un anarchiste et un naïf – il tempère toujours le viol par un baiser. Et puis Dado ne détrousse pas n’importe qui : l’attaque de la diligence comporte trop de dangers.

La dernière dont s’empara Dado, à la force des pinceaux, fut celle qui véhiculait Buffon. L’aimable pourchasseur d’insectes, entre Paris et Montbard, sommeillait sans doute. Dado me demanda un petit coup de main pour le réveiller. Et perpétrer son crime. En connaissance de cause, si j’ose dire. On n’aime guère assassiner des morts.

Mais, cette fois, il s’en prend à un carrosse beaucoup mieux gardé, précédé et suivi d’une escorte quasi royale. Et ce carrosse qui dans la journée s’arrête parfois pour laisser descendre quelque jolie marquise au minois poudré – besoin oblige – cache dans l’ombre de ses portières un être autrement bigarré et d’un charme autrement redoutable, le cardinal de Retz.

Le cardinal de Retz Le cardinal de Retz
Le cardinal de Retz Le cardinal de Retz

Double plaisir en perspective : tuer l’un, et, sur le corps encore chaud du prélat, jouir de la douce intimité des autres.

Avant de passer à l’acte, Dado s’informe sur le personnage dont il va, en quelque sorte, traverser la vie. Un peu comme on parcourt un menu. Un ami ferrailleur lui met dans les mains les œuvres complètes du cardinal de Retz, et le voilà qui s’y plonge. Il ne se retient pas d’admirer. Sous l’œil rieur de ses filles, belles toutes deux comme les marquises dont je viens de parler, et dont les têtes bien faites, ayant jonglé avec de hautes études, sont fort habiles à distinguer le vrai du faux comme à déchiffrer le caractère d’un homme. Dado, lui, se livre à sa lecture sans réticence : il peut se permettre d’adorer, puisqu’il va sacrifier. C’est un privilège qu’il se réserve, dont il entend user sans témoin, dans la solitude d’un atelier qui deviendra cette diligence où son tête à tête, forcément un peu douloureux, avec le cardinal va commencer. De là à conclure que Dado est un moraliste et qu’il veut donner à chacun la mort qui lui est due…

Le cardinal de Retz Le cardinal de Retz
Le cardinal de Retz Le cardinal de Retz

Mais, au fait, qui est Retz, et mérite-t-il tant d’honneurs ? En marge d’une vocation forcée, homme des plus complexes, de duels en aventures galantes, s’attachant pour finir à son métier de cardinal, mais encore coupable de récits bourrés de « petits faits vrais », que lisait Stendhal, mélange détonant de beaucoup d’individus, dont quelques-uns – il adore César – peu fréquentables. Mais, pour racheter l’ensemble, un habit et un style. Qui est Retz ? Chacun peut bien sûr s’en faire une idée en lisant ses Mémoires. Dado, lui…

Il a voulu connaître son homme de plus près, comme si toute exécution capitale appelait quelque jugement, préalable ou posthume, mais qui de toute façon vous lave les mains de l’avoir entreprise. Le coup fait, nous voici rendues enfin visibles aujourd’hui, et comme étalées sur les murs, les armes du crime ; l’arme, pourrait-on dire, qui a servi à cette mise à mort : des tableaux qui n’en font qu’un seul, surchargés, hurlants, provocants – saignants encore, tels des fers dans la plaie, des fers qu’on y replonge comme si chaque plaie était un brasero où l’on chauffe sa lame avant de la marteler sur l’enclume pour, mieux aiguisée, l’y plonger derechef. J’ai parlé d’enclume : la tête de Dado bien entendu. Mais pourquoi pas aussi le brasero, puisque c’est là, dans le feu, que tout commence.

Pierre Bettencourt, été 1992.

Le cardinal de Retz Le cardinal de Retz
Le cardinal de Retz Le cardinal de Retz
gravure de Dado