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Ce n’est (…) pas courir un grand risque qu’affirmer que les œuvres qui réapparaissent aujourd’hui dans cette exposition, plus de quarante ans après leur exécution et leur présentation au public, doivent surprendre le regard (…). Si de tels mots n’étaient pas de longue date galvaudées, stupeur et révélation viendraient assez naturellement à l’esprit.
(…) [L]a fragmentation, la dispersion, l’émiettement, sont les principes [de ces peintures]. Le premier regard y distingue de petites formes séparées, les unes dentelées, les autres plus ramassées, qui semblent recouvrir une surface de teinte plus claire. Elles sont innombrables. Les nommer est malaisé : on dirait des coraux ou des cailloux ou des débris pétrifiés ou concrétionnés. S’il arrive qu’un peu de vert indique de la végétation, le minéral règne largement sur ces surfaces désertiques. Le ciel lui-même, quand apparaît un ciel distinct du sol, est envahi de nuages si denses que l’aérien se sépare à peine du terrestre. Ce serait sables et poussières en dessous, falaises et agates au dessus : un monde sans vent, sans eau, sans mouvement – presque sans vie.
De près, l’œil observe la prolifération de touches colorées serrées et compactes, posées avec méthode. Le peintre pourrait avoir cherché à le tromper en figurant avec une minutie impeccable ce qui, d’ordinaire, paraît ne pas mériter d’être peint, de la pierre ou de la poussière. Quand l’œil se recule, il découvre tout autre chose : les indications assez nettes d’un ou plusieurs corps assez nettement humains.
(…) [Dans ces toiles,] les figures cryptées le sont à divers niveaux de lisibilité, du presque imperceptible à l’indubitablement présent, du squelette dispersé au corps à peu près complet, quoique difforme. Dans les murs, les herbes, les cailloux, les arbres et les nuages, partout, des figures se dissimulent. Qu’un peintre vienne à passer, qu’il soit attentif et ce monde spectral échappe à la matière où il était enfermé.
Ce peintre, il y a quarante ans, c’était Dado.
Philippe Dagen
Mai 2004